mardi 8 février 2011

Ne Jamais Céder

Traduction du texte "Bloss nie nachgeben" de Claudio Breda du site d'Alice Miller.

Ne Jamais Céder

Samedi 16 décembre 2006


Courrier adressé aux lecteurs du « Zürcher Zeitung Tagesanzeiger» suite à la parution, dans son magazine du 21.08.06, d’un article donnant des conseils sur l’éducation des bébés.


Je me place dans la peau d’un nouveau-né pour vous expliquer la situation de mon point de vue. Je ne sais pas pourquoi vous, les grands, vous débitez des choses aussi absurdes au sujet des petits êtres que nous sommes. C’est pourquoi je ne suis absolument pas d’accord avec vos méthodes d’éducation et vos règles. Je voudrais bien au contraire vous sensibiliser sur quelque chose que la plupart d’entre vous ont refoulé pour ne pas avoir à y être confronté. Cela concerne le temps ou vous étiez vous-mêmes de petits êtres sans défense. Malheureusement nous ne sommes pas complètement développés au moment de notre naissance et nous ne sommes pas assez mûrs pour subvenir à nos propres besoins. Mais nous ne sommes avant tout pas en mesure de comprendre vos règles totalement abstraites et d’en parler avec vous. Dans les premières années de notre vie, nous avons absolument besoin de la présence permanente et de la protection de nos parents. Nous craignons pour notre vie lorsque nous sommes seuls. Nous montrons cela au travers de nos cris. Ne nous laissez jamais seuls ! Je suis étonné de constater que vous, les adultes, sachiez très bien que la pire des tortures infligée à ceux enfermés dans vos prisons est la solitude liée à l’isolement. Pourtant vous agissez exactement de la même façon avec nous les bébés lorsque vous nous isolez seuls dans une chambre ou que vous nous laissez seuls. Et bien souvent en nous enfermant en plus dans une cage de bois pour qu’il nous soit impossible de sortir pour vous rejoindre. Vous ne semblez pas comprendre que nos pleurs sont le signe de la torture que représente pour nous le fait d’être séparés de vous. Vous trouverez mille raisons à nos pleurs mais refuserez d’en admettre la plus évidente.


N’oubliez pas que ne nous savons pas ce que représente une nuit, notre notion du temps qui passe n’est pas encore développée. Lorsque vous vous cachez derrière les murs d’une pièce, nous pensons tout simplement que vous nous avez abandonnés.


Nos capacités de reconnaître un lieu géographique ne se développent que dans les années qui suivent. Croyez-moi, nous avons une peur monstre lorsque vous nous laissez seuls. Et concernant vos drôles de règles, laissez-moi vous rappeler que nous ne comprenons absolument rien aux mots oui et non, bien et mal, avant d’avoir l’âge de 2 ans. Nous souffrons en permanence pendant les premières années de notre vie à cause de vos règles. C’est désespérant. Il nous faut dissimuler cette peine si nous voulons survivre. Réfléchissez bien : croyez-vous que nos ancêtres qui vivaient dans les grottes auraient éloigné leurs enfants d’eux pour dormir ? Ils auraient été une proie facile pour le premier prédateur venu. Nous craignons pour notre survie lorsque nous sommes séparés de vous. Pourquoi vous, les adultes, avez-vous peur lorsque vous vous retrouvez seuls la nuit dans une forêt ?Pourtant vous nous mettez dans des situations semblables sans même vous en rendre compte. C’est un vrai calvaire pour nous.


Plus tard, une fois que nous sommes adultes, nous nous «vengeons» inconsciemment en agissant de la même manière avec nos propres enfants. C’est ainsi et pas autrement que nous l’avons appris ! La société applique ces règles et ces méthodes barbares sans jamais les remettre en cause. Pourquoi ? Car une analyse critique conduirait en terrain inconnu. J’ai souvent pu observer à quel point une soirée joyeuse entre vous grandes personnes pouvait s’assombrir lorsque quelqu’un se permet de soulever le débat sur des questions liées à votre enfance. Sujet très sensible, très très sensible. Un tabou détourné de façon très élégante dans des textes comme l’article de «Magazin». Détourner, c’est éviter de confronter. Comme nous n’avons pas connu autre chose, nous n’avons de cesse de faire subir aveuglement encore et encore les mêmes supplices à nos enfants, de la même façon que nous les avons subis nous-mêmes et ne nous en rendons pas compte.


Une fois de plus ou de moins, voire pas du tout, cela dépend du vécu de chacun. Vous êtes vraiment capables de trouver de nombreuses explications pour justifier les supplices psychiques et émotionnels que vous nous faites subir à nous les enfants. Vous traitez votre progéniture de voleurs de sommeil qu’il faut dompter à l’aide de règles strictes. On peut dire qu’on se retrouve plus ou moins au moyen-âge. A cette époque, on disait des enfants qui avaient subi de mauvais traitements qu'ils étaient tous étaient diaboliques et que seuls les coups et la discipline pouvaient chasser ce mal. Je constate que vous croyez encore aujourd’hui à ce genre de principes même si c’est sous une autre forme. Cette hérésie (terrible héritage générationnel) est soigneusement évitée par les soi-disants spécialistes.


Par ailleurs, nous devons avoir au moins deux ans pour comprendre ce qu’est une règle. Notre cerveau ne le distingue qu’à partir de ce moment-là. Toute tentative de votre part de nous imposer une règle est considéré par nous comme une torture dont nous ne comprenons absolument pas le pourquoi. Vous détruisez notre âme et anéantissez notre volonté. Vous ne faites rien de plus que nous martyriser et nous tourmenter. Les psychologues spécialistes du développement le savent depuis longtemps. Pourquoi ce savoir n’est-il pas depuis tout ce temps enseigné dans nos écoles ? Je suis scandalisé que vous les adultes refusiez de voir en face la souffrance qui fut la vôtre à l’époque. Cela permettrait pourtant à toute l’humanité d’échapper à ce cauchemar. Vous devez vraiment prendre conscience de ce que vous subissez et nous faites subir afin de rectifier cette impitoyable erreur de comportement qui se transmet inconsciemment et sans cesse de génération en génération. Vous vous considérez comme des êtres intelligents mais pour ce qui concerne l’éducation du nouveau-né, la plupart d’entre vous n’ont pas évolué en raison de l’aveuglement émotionnel qui les a gagné. Etudiez donc notre histoire pour mieux comprendre ce que je veux dire par «aveuglement» devant la douleur qu’est la nôtre, celle des enfants. Un tel refus d’admettre de nouvelles connaissances n’est pas unique dans notre histoire. Avez-vous déjà entendu parler de la thèse copernicienne ? La théorie de la préformation ou la certitude que vos bateaux sombrent une fois arrivés aux limites de l’horizon ? Les petits êtres que nous sommes vous privons de vos nuits et vous dérobons votre temps si précieux; pour beaucoup nous serions même insupportables au point de gâcher vos vies.


Sans règles strictes nous deviendrions des êtres totalement irresponsables. Cette conception n’est malheureusement que le reflet de la douleur ressentie dans votre propre enfance. Vous ne faites rien de plus que réunir les conditions pour engendrer un nouvel enfant repoussé. Pour être honnête, je trouve tout cela vraiment malsain. Il vous faut tout d’abord prendre conscience du mal-être que devait être le vôtre alors que vous étiez aussi jeune et fragile que je le suis aujourd’hui. Et croyez-moi, si vous commencez à chercher, vous trouverez ! Et c’est là que çà coince. Vous redoutez tant ce que vous pourriez découvrir que vous préférez persister dans l’ignorance et reproduire et même cautionner ce qui vous a été imposé par le passé. Beaucoup d’entre vous ne comprendront pas mes dires et les rejetterons catégoriquement. Et c’est bien triste ....


Ceux parmi vous qui après avoir recherché sans relâche reprennent conscience de ce passé refoulé depuis depuis tant d’années au plus profond d’eux-mêmes et commencent à réfléchir à la question finiront par tout comprendre. Beaucoup seront effrayés mais pourront s’en récompenser en évitant à leurs bébés de connaître implacablement le même sort. Ils parviendront à discerner le mal et à faire confiance à leur instinct retrouvé. Une récompense plus importante que n’importe quelle carrière et plus forte que les ambitions de pouvoir et de richesse. Ces personnes nimposeront à leurs enfants plus rien qu’ils ne seraient pas en mesure d’accepter pour eux-mêmes en tant qu’adultes. Et celui qui réussit cela constatera avec joie comme il nous est aisé à nous les bébés de grandir dans la joie. Tout comme une petite plante que l’on nourrit et que l’on protège des intempéries, de la chaleur et de la sècheresse afin qu’elle grandisse rapidement, les bébés que nous sommes grandiront paisiblement s’ils peuvent compter sur votre protection et votre amour absolu et dépourvu de toute règle.


Je ne connais personne qui se permet de dire à une plante comment et quand elle doit se développer. Elle le sais très bien elle-même tout comme nous les bébés nous le savons. S’il en est un parmi vous qui crie au scandale en invoquant mille raisons pour expliquer la nécessité d’imposer des règles comme celles qu’il a connu en grandissant, c’est que j’aurais réussi à éveiller en lui cette douleur qu’il refoulait depuis si longtemps. S’il parvient à l’identifier, il pourra enfin analyser cet aveuglement émotionnel et voir quelles règles pénibles il nous afflige à nous petits bébés pour enfin refuser de suivre la plupart de ces règles. Cette personne me comprendra lorsque je dis : «Faut-il laisser grandir les bébés ? Les bébés deviendront tout naturellement des individus responsables qui feront la joie de leurs parents et de leur entourage à condition qu’ils grandissent dans un environnement émotionnellement stable et respectueux de sa personnalité»


Votre bébé


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